Le magicien des couleurs
Le blog du Projet « Histoires à faire rêver » partage
avec vous des histoires pour tous les âges – pour les plus petits et
les moins petits… – aussi bien que des textes de réflexion et des
pensées. Rendez-vous à l'adresse suivante: http://contesarever.wordpress.com/
Contes à rêver… POUR VIVRE AUTREMENT ! En voilà un exemple:
Dans la nuit des temps, il y a
longtemps, très longtemps, les couleurs n’existaient pas. Presque tout
était gris et ce qui n’était pas gris était noir. C’est ce qu’on a
appelé la période grise du monde. Chaque matin, un magicien qui vivait
en ce temps-là mettait la tête à la fenêtre pour contempler le paysage.
« Il me semble qu’il manque quelque
chose à ce monde », dit-il un jour. « On ne peut pas distinguer quand
la pluie cesse de tomber, et quand le soleil se met à briller… »
Le magicien descendait souvent
l’escalier de sa cave sombre et grise. Là, pour oublier ce monde
maussade, il s’amusait à faire des expériences magiques. Un jour que le
magicien mélangeait et malaxait un peu de ceci et un rien de cela, il
découvrit quelque chose de bizarre au fond de sa marmite.
« C’est bien joli ! » s’écria-t-il. « Je vais en faire davantage. »
« Qu’est-ce que c’est ? » demandèrent les voisins en voyant le magicien peindre sa maison.
« Une couleur », dit le magicien. « J’appelle ça du bleu. »
« Je vous en prie », crièrent les voisins, « donnez-nous-en un peu ! »
« Volontiers ! » répondit le magicien.
Et
c’est ainsi que fut lancée la mode du bleu. Bientôt tout fut bleu dans
un monde heureux. Les arbres étaient bleus, les vaches étaient bleues,
les coccinelles bleues, les écureuils aussi. Le magicien chevauchait une
bicyclette bleue pour contempler son univers en bleu.
Il disait : « C’est merveilleux ! »
Mais,
tout ce bleu, ce n’était pas merveilleux. Après un certain temps, le
bleu attrista tout le monde. Les enfants ne jouaient plus, les coqs ne
chantaient plus, les saules pleuraient, le troubadour poussait des
complaintes déchirantes.
« Ce bleu est trop déprimant », dirent les voisins au magicien qui était devenu le plus malheureux des hommes.
« Personne ne rit plus, c’est vrai. Je ne sais même plus sourire. »
« Il
faut que je fasse quelque chose », se dit le magicien en descendant
lourdement l’escalier de sa cave sombre et bleue. Alors, il se mit à
mélanger et à malaxer un peu de ceci et un rien de cela, et il découvrit
bientôt quelque chose de nouveau au fond de sa marmite.
« Voilà qui est plus gai ! » s’écria-t-il. « Je vais en faire davantage. »
« Qu’est-ce que c’est ? » demandèrent les voisins en voyant le magicien peindre sa palissade.
« J’ai appelé cela du jaune », dit le magicien.
« Peut-on en avoir un peu ? » quémandèrent les voisins.
« Bien sûr ! » répondit le magicien.
Et
c’est ainsi que fut lancée la mode du jaune. Bientôt tout fut jaune dans
le monde. La rivière et la mer étaient jaunes comme le ciel, les
cochons étaient jaunes, les écureuils aussi.
Les
perruques étaient comme les feuilles des arbres, jaunes comme Papa,
Maman, Petit-Pierre et son chien. Chez l’arracheur de dents on riait
jaune. Le magicien galopait sur son cheval jaune pour explorer son
univers en jaune. Il disait : « C’est très réussi ! »
Mais,
tout ce jaune, ce n’était pas très réussi. Après un certain temps, le
jaune éblouit tout le monde. On vivait les yeux fermés, les volets clos.
On se cognait partout, dans les rues, sur les routes. Les oiseaux
n’osaient plus voler.
« Ce jaune est trop lumineux et trop aveuglant », dirent les voisins au magicien.
« Ne
m’en parlez pas », gémissait le magicien, qui portait une serviette
humide sur le front, « tout le monde en a mal à la tête et moi aussi. »
Le
magicien descendit donc en trébuchant l’escalier de sa cave sombre et
jaune. Alors, il se mit à mélanger et à malaxer un peu de ceci et un
rien de cela, et il découvrit bientôt quelque chose de nouveau au fond
de sa marmite.
« C’est magnifique ! » s’écria-t-il. « Je vais en faire davantage. »
« Comment appelez-vous ça ? » demandèrent les voisins en voyant le magicien peindre les fleurs de son jardin.
« Rouge », répondit le magicien.
« On en voudrait bien aussi », implorèrent les voisins.
« Tout de suite ! » dit le magicien.
Et
c’est ainsi que fut lancée la mode du rouge. Bientôt tout fut rouge dans
le monde. La rivière était rouge comme le ciel, le lapin était rouge
comme les canaris, le fromage était rouge, les glaces, les gâteaux, les
chapeaux, les manteaux et l’écureuil aussi. Le chat était aussi rouge
que les poissons. Le magicien canotait dans son bateau rouge. Il
disait : « C’est l’idéal ! »
Mais,
tout ce rouge n’était pas l’idéal. Après un certain temps, petits et
grands voyaient tout en rouge, et le rouge leur montait à la tête et,
comme chacun sait, la colère est mauvaise conseillère. Les petits
devenaient méchants. Ils se tiraient les cheveux ou se cassaient les
dents. Les grands se faisaient la guerre : ils cassaient la vaisselle ou
tiraient le canon. Chez le juge comme à la maison on aurait dit un
combat de coqs. Les voisins furieux prirent d’assaut la maison du
magicien.
« Cet horrible monde rouge, c’est vous qui l’avez fait ! »
Ils
lui lancèrent des pierres. Le magicien était rouge de colère. Il
descendit furibond l’escalier de sa cave sombre et rouge. Pendant des
jours et des jours, il mélangea et malaxa. Il essaya toutes les formules
magiques pour trouver une nouvelle couleur. Mais il ne put faire que du bleu et encore du bleu, du jaune et encore du jaune, du rouge et encore du rouge, jusqu’à ce que toutes les marmites fussent pleines à ras bords.
Les marmites étaient si pleines qu’elles débordèrent.
Le bleu, le jaune et le rouge se mélangèrent.
Et ce fut un beau gâchis. Mais quand le magicien vit ce qui se passait, il s’écria :
« J’ai trouvé ! » Et il dansa, fou de joie, dans la cave.
Le magicien mélangea le bleu et le rouge, et il fit une nouvelle couleur. Il mélangea le jaune et le bleu, et il fit une autre couleur.
Il mélangea le jaune et le rouge, et il fit encore une autre couleur.
« Hourrah ! » cria-t-il.
Et il mélangea le rouge, le bleu et le jaune de différentes façons.
« Regardez les belles choses que je viens d’inventer ! » dit le magicien quand il eut terminé.
« Qu’est-ce que c’est ? » demandèrent les voisins.
« Du violet, du vert, de l’orangé… », dit le magicien.
« On en a la tête qui tourne », crièrent les voisins. « Quelle couleur allons-nous choisir cette fois ? »
« Il faut les employer toutes un peu à la fois », répondit le magicien.
Les gens prirent toutes les couleurs que le magicien avait créées. Bientôt chacune d’elles trouva sa place et, après un moment, quand le magicien ouvrit sa fenêtre, il regarda et dit :
« C’est merveilleusement réussi et idéal ! »
Les voisins apportèrent au magicien, en cadeau, des pommes rouges, des feuilles vertes, des bananes jaunes, du raisin et des fleurs bleues.
Enfin le monde était bien trop beau pour qu’on ait envie d’y changer quelque chose.
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